FR: Où tu trouves le temps de lire?

Un cri. Je relève les yeux de mon bouquin, Michel Strogoff. Plus exactement je me rends à nouveau disponible au monde autour de moi et, un instant, j’oublie les cavalcades dans l’Oural. J’écoute. Ce n’est plus le bruit de la tempête qui les cloue sur place à coups de tonnerre monstrueux, de bourrasques insoutenables et d’une pluie torrentielle a été remplacé par. Je tends l’oreille.

C’est un long cri. Le cri est repris plusieurs fois. Puis c’est comme un crincrin qui ressemble à de la musique. C’est la télé des voisins.

Ce sont les télés de tous nos voisins. De l’appartement à gauche, en face, sur le palier, celui d’en bas aussi, surtout lui, mais pas de celui d’en haut car l’appartement est calme et vide depuis plusieurs années, une histoire d’héritage compliqué.

Ça crie encore, plus longuement. Avec plus de crincrin.

Je réalise que ça nous arrive aussi de dehors. Par la fenêtre pourtant fermée. Depuis l’autre côté de la rue. On a l’habitude de ça quand il fait assez bon pour que tous nous ayons ouvert nos fenêtres, lorsque le bruit de la circulation automobile s’est également apaisé, on entend facilement le son de la télé depuis les fenêtres d’en face. Parfois c’est le son d’un piano et d’un saxophone qu’on entend, trop rarement. Mais là, il fait froid et je doute que beaucoup de fenêtres soient ouvertes. Ça doit vraiment crier fort, et le crincrin doit pas mal crisser aussi.

Quand on entend pas la tv de l’immeuble en face, rien qu’en en regardant par la fenêtre on sait qu’ils la regardent et on peut deviner ce qu’ils regardent. Telle une nouvelle forme de morse ou un sémaphore high-tech, le clignotement frénétique des écrans raconte bien des choses sur ce qui se passe là-bas. Même à la couleur des clignotements on peut deviner, parfois, ce que les voisins regardent. Quand c’est tout vert, c’est du foot ou parfois, avec un peu de chance, du rugby. Les rares écrans qui ne clignotent pas en permanence mais qui ne brillent pas moins, ce sont ceux des ordinateurs.

Puis, tard dans la soirée, pas en même temps mais dans une tranche horaire assez proche nous dirons, l’égosillement des télés cesse. Les clignotements aussi. tels de bons enfants bien sages, les voisins éteignent. C’est l’heure de dormir. Sauf pour une poignée de récalcitrants (souvent nous en sommes).

Ces sons et ces lumières, au fond c’est un spectacle qu’aimablement le voisinage nous offre.

C’est aussi une interrogation. Avec ce bruit incessant et ce matraquage lumineux sans répit comment font nos voisins pour se préserver et pour apprécier le silence, celui de dedans et d’autour de la tête, qui m’aide tant à lire, comme à réfléchir.

Published: 2025/02/11