
Reposer mon stylo. Fermer mon livre. Allumer l’ordinateur. Interrompre ma lecture de Rousseau, le temps d’assister au lancement de la fusée Falcon 9, en direct sur YouTube.
J’apprécie la rencontre inopinée (incongrue ?) d’un texte rédigé aux alentours de 1750, très certainement écrit à la plume et éclairé à la chandelle mais qui reste d’une actualité frappante, aujourd’hui peut-être plus que jamais, avec cette image d’une fusée qui représente ce que l’ingénierie et l’audace peuvent faire de mieux, qui s’éloigne à une vitesse folle en direction de la Lune — puisque c’est sa destination, où elle y déposera un petit robot.
Et tandis que je pense à ça, le premier étage du lanceur a terminé de se séparer du cargo et est tranquillement en train de redescendre vers la terre pour s’y poser tout en douceur, entièrement piloté par informatique.
J’apprécie ce concentré d’esprit et d’audace, dans Rousseau bien évidemment mais aussi dans la fusée Falcon 9. Le travail impressionnant des ingénieurs et des informaticiens qui a rendu cette prouesse non seulement possible mais répétable à merci.
J’avoue que je suis aussi interpellé par le patron de SpaceX, Elon Musk, par sa capacité à avoir lancé et soutenu un projet fou comme SpaceX. Interpellé et curieux, aussi, de savoir où sont nos audacieux Européens ?
Si vous êtes très jeune, il vous sera peut-être difficile d’imaginer quelle rupture l’apparition d’une fusée appartenant à une compagni privée a pu représenter quand, jusque là, l’espace était le privilège réservé de moins qu’une poignée de nations. Car il y fallait toute la puissance et l’intelligence d’un État. Et voilà SpaceX, une fusée et une entreprise appartenant à un homme apparemment aussi riche qu’un État. SpaceX n’était pas la toute première fusée privée mais, que je sache, elle fut la première capable de réellement lancer et mettre des satellites sur orbite et elle reste la première à avoir pu revenir se poser pour être réemployée. Alors, oui je suis impressionné — et peu importe ce que je pense de l’homme Musk.
Cet homme eut-il asservi la moitié du monde, n’est toujours qu’un particulier; son intérêt, séparé de celui des autres n’est toujours qu’un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, son empire après lui reste épars et sans liaison, comme un chêne se dissout et tombe en un tas de cendresn après que le feu l’a consummé.
(Jean-Jacques Rousseau, Du contral Social, p. 51 de l’édition GF (#1058) août 2024, qui est accompagnée d’un excellent appareil critique signé Bruno Bernardi.)
Published: 2025/02/02