Récemment, je lisais Gilles et Jeanne de Michel Tournier. Un livre dans lequel Tournier nous parle de la rencontre de Jeanne d’Arc avec Gilles de Rai et, bien que cela ne soit pas central dans l’intrigue (ou bien ça l’est ?), où il nous parle aussi des immenses forêts qui à l’époque couvraient une bonne partie de la France, et sans doute d’autres pays européens.
En lisant ses descriptions, je me suis retrouvé tout con à me demander: est-on seulement encore capable d’imaginer ce qu’était une forêt en France au XV siècle ?
Cet océan végétal non pas vert comme une jolie pelouse aux arbres soigneusement entretenus mais sombre et opaque car la lumière n’y passe que péniblement, et rien n’y est entretenu par la main de l’homme. Un océan tumultueux. Un mur épais, où les routes sont l’exception – d’ailleurs des routes pour aller où? L’essentiel du territoire n’est pas encore habité et encore moins exploité. Car l’homme n’y est pas encore prudent, pas encore chez lui. Cette forêt, il ne l’exploite pas. Au mieux, il grappille un peu de terrain à sa périphérie, et quand il y entre c’est rarement pour la traverser, de toute façon, elle ne se termine pas avant des centaines de lieues, si pas plus. D’ailleurs faut-il parler des forêts françaises ou de la forêt française, ponctuellement jalonnée de quelques villes et villages ? Aussi, c’est dangereux, la forêt. Pas tellmement parce qu’y vivent des animaux sauvages, ils y vivent bel et bien, et que tout y serait hostile à nous mais, et à mon avis c’est encore plus flippant, parce que tout ce qui y vit serait indifférent à notre présence tant la présence de l’homme y serait l’exception. Parce qu’on peut facilement s’y perdre et ne jamais en sortir.
OK, j’ai peut-être laissé mon imagination s’emballer sur les descriptions qu’en fait Tournier dans son roman, mais à peine. Je suis persuadé qu’il voulait lui accorder cette place que je lui trouve, pour nous faire entrevoir cette forêt comme le décor permanent dans lequel évoluent, vivent et ressentent nos deux personnages. Un décor mais aussi un acteur qui les façonne, bien entendu.
Et du coup d’autres questions se sont imposées à moi.
Quel rapport entre ces intimidantes forêts et nos sages “zones boisées” coincées entre deux ou plusieurs routes, soigneusement balisées, parcourues de sentiers et réglées en coupes. Ces parcours santé au sol soigneusement égalisé, aux sentiers clairement tracés et jalonnés de zones de repose avec ou sans tables pour le piquenique. Ces forêts charmantes dans lesquelles, sans hésiter, on emmène ses enfants non pas pour les y perdre et s’en débarrasser, comme le firent les parents du Petit Poucet, mais pour s’y balader en famille, le dimanche, pour respirer le bon air de la campagne et avec un peu de chance apercevoir un écureuil ou des oiseaux.
Quel caractère ces modernes et sages forêts disent-elles de nous? Quel impact ont elles sur qui nous devenons?
On a civilisé cette forêt, on l’a fendue accueillante. On en a fait une ressource, de plus en plus à l’étroit entre nos villes de plus en plus larges. Cette forêt n’est plus un ailleurs menaçant, mais est-ce encore une forêt?
Ou n’est-ce plus qu’un jardin un peu plus boisé que les autres?
Est-ce que ça valait vraiment la peine de la transformer ainsi pour n’en préserver que l’ombre de qu’elle était?
Je me demande ce qu’en penserait Bambi?
Published: 2024/02/23